Attaques contre les autres populations civiles – Sud-Kivu

 Section I > Chapitre II > C. Attaques contre les autres populations civiles > 2. Sud-Kivu

282. Au cours de leur conquête du Sud-Kivu, des « éléments armés banyamulenge/tutsi », des forces de l’AFDL, de l’APR et des FAB382 ont commis de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire à l’encontre des civils zaïrois considérés comme hostiles aux communautés tutsi/banyamulenge locales ou proches de leurs ennemis (les FAZ, les ex-FAR/Interahamwe, les groupes armés hutu burundais, les « éléments armés bembe » et les groupes Mayi-Mayi en général). De nombreux chefs coutumiers ont également été tués au cours de la période pour des motifs politiques et ethniques ou tout simplement afin de pouvoir ensuite piller leurs biens. Dans ce contexte l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 12 septembre 1996, des « éléments armés banyamulenge/tutsi » ont tué neuf civils à Kanyura et Makutano dans le secteur Itombwe du territoire de Mwenga. Au nombre des victimes figuraient le chef de poste d’encadrement (un Rega) et ses collaborateurs ainsi que le chef de groupement de Basymuniaka II, un Bembe du territoire de Fizi ainsi que deux membres de sa famille. De nombreux Bembe considèrent ce massacre comme le point de départ de la « guerre totale » contre les Banyamulenge383.
  • Le 6 octobre 1996, des « éléments armés banyamulenge/tutsi » ont tué plus d’une cinquantaine de personnes dans le village de Kidoti, à 2 kilomètres de Lemera, dans le territoire d’Uvira. Les victimes étaient pour la plupart des civils. Certaines victimes ont été tuées par des éclats d’obus; d’autres ont été exécutées après avoir été contraintes de creuser des fosses communes dans lesquels leurs corps ont ensuite été jetés384.
  • Le 6 octobre 1996, dans le village de Lemera, à 80 kilomètres au nord-ouest d’Uvira des « éléments armés banyamulenge/tutsi » ont tué 37 personnes dans un hôpital, parmi lesquelles deux membres du personnel médical, des civils et des militaires des FAZ en traitement à l’hôpital. Avant de quitter Lemera, les « éléments armés banyamulenge/tutsi » ont saccagé l’hôpital385.
  • Le 18 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué au moins 88 civils dans le village de Kiliba, à 13 kilomètres au nord de la ville d’Uvira. Les victimes étaient des civils qui n’avaient pas eu le temps de fuir après le départ des huit gendarmes présents dans la ville. Avant de quitter Kiliba, les militaires ont également pillé le village. Sur les 88 victimes identifiées par la Croix-Rouge, 15 ont été enterrées à Uvira386.
  • Le 18 octobre 1996, dans le territoire d’Uvira, des éléments de l’AFDL/APR ont tué au moins 51 civils dans le village de Bwegera du groupement de Kakamba dans la chefferie de la plaine de la Ruzizi. Après le départ des FAZ du village, les victimes avaient tenté de s’enfuir dans les montagnes vers Kiringye mais elles ont été rattrapées par les militaires. La Croix-Rouge a enterré les corps dans des fosses communes387.
  • Le 25 octobre 1996, lors de la prise d’Uvira, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué sans discrimination plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles des réfugiés et des civils zaïrois accusés d’appartenir à des groupes Mayi-Mayi388.

283. À partir d’Uvira, les militaires de l’AFDL/APR/FAB ont progressé à l’intérieur du territoire de Fizi. Dans ce contexte l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Fin octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 27 civils, pour la plupart des femmes et des enfants, dans le village de Mboko, à 52 kilomètres au sud d’Uvira, dans le territoire de Fizi. Les victimes tentaient de traverser le lac Tanganyika sur des pirogues afin de rejoindre la Tanzanie. Certaines ont été tuées par balle, d’autres sont mortes noyées dans le lac389.
  • Le 28 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 101 civils zaïrois dans le village d’Abala-Ngulube, au carrefour du Moyen et du Haut-plateau, près de Minembwe, dans le territoire de Fizi. Les victimes étaient des Bembe, membres de la troisième Église Malikia wa Ubembe. Elles avaient refusé de quitter le village et se trouvaient dans l’église à l’arrivée des militaires. Certaines des victimes ont été brûlées vives dans l’église. Quelques jours avant l’attaque, des « éléments armés bembe » avaient tué deux militaires de l’AFDL/APR lors d’une embuscade aux alentours d’Abala-Ngulube. Depuis ce massacre, chaque 28 octobre, les membres de la troisième Église Malikia wa Ubembe organisent une cérémonie en mémoire des victimes390.
  • Au cours de la deuxième quinzaine d’octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 130 civils dans la localité de Kaziba, à 53 kilomètres au sud-ouest de Bukavu, dans le territoire de Walungu. Le 16 octobre, ils ont notamment tué 36 civils dans le centre commercial de Kaziba. Les corps des victimes ont été inhumés au centre ville de Kaziba dans une fosse commune située à proximité de l’Église mennonite. Un peu plus tard, les militaires ont tué de nombreux civils à coups de lance et de machette dans le quartier de Namushuaga/Lukube. Par la suite, ils ont tué au moins 11 civils dans le quartier de Cihumba où s’étaient réfugiés un grand nombre d’habitants. En marge de ces massacres, les militaires ont aussi pillé l’hôpital, des magasins et de nombreuses habitations et ils ont saccagé la petite centrale hydroélectrique locale391.
  • Au cours des combats pour la prise de Bukavu, les 29 et 30 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué plus de 450 civils. Le 29 octobre, ils ont tiré à l’arme lourde sur la ville, tuant sans discrimination civils et militaires. Après le départ des FAZ, ils ont ouvert le feu sur la population qui tentait de s’enfuir. Ils ont tué de nombreux civils à bout portant, dont l’archevêque de l’Église catholique, Mgr Munzihirwa, tué dans son véhicule avec son chauffeur et son garde du corps. À compter du 30 octobre, les militaires ont procédé à la fouille systématique des maisons, tuant et torturant sans discrimination des dizaines de personnes, civils comme militaires392.
  • À compter d’octobre 1996, les militaires de l’AFDL/APR ont recruté des enfants dans les territoires d’Uvira et de Fizi et dans la ville de Bukavu. À Bukavu les recrutements avaient lieu notamment au niveau du quartier général de l’AFDL (Bâtiment Lolango), sur l’avenue Maniema. Les enfants recrutés ont suivi une formation militaire initiale dans le village de Kidoti, dans le territoire d’Uvira, puis ont été envoyés au front393.
  • Le 6 février 1997, des éléments des ex-FAR/Interahamwe et des FAZ en déroute ont tué quatre civils et en ont blessé deux autres dans le village de Matili, à 51 kilomètres du centre ville de Shabunda, dans la chefferie de Bakisi du groupement de Banguma. Les victimes étaient accusées d’espionner pour le compte des militaires de l’AFDL/APR. Leurs corps ont été inhumés dans le cimetière de Matili394.
  • Le 14 mars 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué neuf civils, dont un enfant, à coups de couteau et de machette dans la concession du projet VIPAM395, située à Lwana, à 101 kilomètres au nord-ouest de Bukavu, dans le territoire de Kalehe. Les victimes étaient originaires des territoires de Shabunda et Kabare et travaillaient pour ledit projet. Elles étaient accusées d’avoir aidé les réfugiés hutu dans leur fuite396.
  • Le 26 mai 1997, à Uvira, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 126 civils lors d’une manifestation organisée pour protester contre l’assassinat de huit personnes par des hommes armés soupçonnés d’appartenir aux nouvelles forces de sécurité du régime de l’AFDL. Après la tuerie, les militaires ont interdit l’accès à la zone et jeté la plupart des corps dans deux fosses communes situées dans le quartier « Biens mal acquis » où ils avaient installé leur quartier général. Huit corps ont été enlevés par la population et enterrés au cours des jours suivants397.
  • En juillet 1997, des militaires des FAC/APR398 ont massacré entre 500 et 800 personnes dans les villages de Kazumba, Talama, Mukungu et Kabanga situés à cheval entre les provinces du Katanga et du Sud-Kivu. Lesdits villages étaient utilisés comme arrière-bases par la petite milice de « Jeshi la Jua » ou  « armée du Soleil » en guerre ouverte contre le nouveau régime. Le massacre a été perpétré en représailles à l’attaque des éléments de « Jeshi la Jua » qui avait fait un mort du côté des FAC/APR. Les tueries se sont étalées sur plusieurs jours et ont visé sans discrimination combattants et civils399.
  • Dans la nuit du 22 au 23 décembre 1997, des militaires des FAC/APR ont tué 22 civils au niveau du centre commercial de Bulambika, situé à Bunyakiri, dans le territoire de Kalehe. Les victimes étaient accusées de soutenir les Mayi-Mayi qui avaient occupé jusque là le village400.
382 Comme mentionné précédemment, compte tenu de la forte présence de militaires de l’APR parmi les troupes et les postes de commandement de l’AFDL – réalité reconnue à posteriori par les autorités rwandaises – et de la grande difficulté éprouvée par les témoins interrogés par l’Équipe Mapping pour distinguer les membres de l’AFDL et ceux de l’APR sur le terrain, il sera fait référence aux éléments armés de l’AFDL et aux militaires de l’APR engagés dans les opérations au Zaïre entre octobre 1996 et juin 1997 en utilisant le sigle AFDL/APR. Lorsque dans certaines régions plusieurs sources attestent de la forte présence sous couvert de l’AFDL de militaires ougandais (comme dans certains districts de la province Orientale) ou des Forces armées burundaises (comme dans certains territoires du Sud-Kivu), les sigles AFDL/APR/UPDF, AFDL/APR/FAB ou AFDL/UPDF et AFDL/FAB pourront aussi être utilisés.
383 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril 2009; CADDHOM [Collectif d’actions pour le développement des droits de l’homme], « Les atrocités commises en province du Kivu au Congo Kinshasa (ex-Zaïre) de 1996 à 1998 », 1998, p. 5; Comité Palermo Bukavu, « Les morts de la rébellion », 1997, p. 2.
384 Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en RDC en 1997/1998; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581), annexe, p. 45; Comité Palermo Bukavu, « Les morts de la rébellion », 1997, p. 2; AI, « Loin des regards de la communauté internationale: Violations des droits de l’homme dans l’est du Zaïre », 1996, p. 3.
385 Entretien avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, février 2009; Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en RDC en 1997/1998; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581), annexe, p. 45; Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6), par. 198; Comité Palermo Bukavu, « Les morts de la rébellion », 1997, p. 1; AI, « Loin des regards de la communauté internationale: Violations des droits de l’homme dans l’est du Zaïre », 1996, p.3 et 4.
386 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, novembre 2008 et mars 2009; Document confidentiel remis à l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en RDC en 1997/1998; Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6), par. 198; AI, « Loin des regards de la communauté internationale: Violations des droits de l’homme dans l’est du Zaïre », 1996, p. 4.
387 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril 2009; Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en RDC en 1997/1998.
388 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, novembre 2008 et février 2009; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581), annexe, p. 37; AI, « Loin des regards de la communauté internationale: Violations des droits de l’homme dans l’est du Zaïre », 1996, p ,5 et 6.
389 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril 2009.
390 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, février 2009.
391 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, février et mars 2009.
392 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu février et mars 2009; Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en RDC en 1997/1998; ICHRDD [International Centre for Human Rights and Democratic Development] et ASADHO, « International Non-governmental Commission of Inquiry into the Massive Violations of Human Rights Committed in the DRC – Former Zaïre – 1996-1997», 1998, p. 12; CADDHOM, « Les atrocités commises en province du Kivu, 1996-1998 », 1998, p. 9 et 10; Église luthérienne, Rapport d’enquête sur les violations des droits de l’homme à l’est du Congo, mai 1997, p. 7
393 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, décembre 2008 et mars 2009.
394 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, janvier et février 2009.
395 Village pilote d’agriculture moderne.
396 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, mars 2009; Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en RDC en 1997/1998; AI, « Alliances mortelles dans les forêts congolaises », 1997, p. 8.
397 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, novembre 2008 et février/mars 2009; Rapport de la mission conjointe chargée d’enquêter sur les allégations de massacres et autres atteintes aux droits de l’homme ayant lieu dans l’est du Zaïre (actuellement RDC) depuis septembre 1996 (A/51/942), p. 14; CADDHOM, « Les atrocités commises en province du Sud-Kivu », 1998, p. 11 et 12; AI, « Alliances mortelles dans les forêts congolaises », 1997, p. 9; ICHRDD et ASADHO, « International Non-governmental Commission of Inquiry into the Massive Violations of Human Rights Committed in the DRC – Former Zaïre – 1996-1997 », 1998.
398 À partir de juin 1997, l’armée nationale de la RDC a pris le nom de Forces armées congolaises (FAC). Jusqu’au début de la deuxième guerre, les FAC comptaient en leur sein, outre les militaires de l’AFDL et les ex-FAZ, de nombreux militaires rwandais et, dans une moindre mesure, ougandais. Devant la difficulté de distinguer clairement à cette époque les militaires congolais des militaires rwandais, le sigle FAC /APR a été utilisé pour la période allant de juin 1997 à août 1998.
399Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, février et avril 2009; Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en RDC en 1997/1998; CADDHOM, « Enquête sur les massacres de réfugiés », 1998.
400 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, mars et avril 2009; AI, « RDC: Une année d’espoirs anéantis », 1998, p. 3.