Première Guerre – Attaques contre les autres populations civiles – Territoire de Masisi (Nord-Kivu)

Section I > Chapitre II. Première Guerre  > C. Attaques contre les autres populations civiles > Nord-Kivu > Territoire de Masisi

 

  • Dans la soirée du 6 novembre 1996, au niveau des villages de Tebero et Njango, des «éléments armés hutu 352» ont ouvert le feu, lancé des grenades et tiré au lance-roquettes sur des camions transportant plusieurs centaines de civils, pour la plupart d’origine Nande. Le 7 novembre au matin, les éléments armés ont massacré des survivants et dévalisé systématiquement les passagers avant de mettre le feu aux véhicules. Selon certaines sources, 760 corps auraient été enterrés dans trois fosses communes. Les victimes avaient quitté Goma le 6 novembre et cherchaient à se rendre par la route dans le nord de la province. Le mobile exact de ce massacre n’a pu être précisé353.
  • Vers la mi-novembre 1996, des ex-FAR/Interahamwe en fuite ont tué entre cinq et onze civils dans le village de Ngungu354.
  • Le 5 décembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué au moins 97 personnes dans le village de Matanda. La plupart des victimes étaient des réfugiés et des Banyarwanda hutu355.
  • Le 7 décembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué près de 310 civils, dont un grand nombre de femmes et d’enfants, dans le village de Kinigi du territoire de Masisi. Les militaires avaient accusé la population locale, en majorité des Banyarwanda hutu, d’héberger des ex-FAR/Interahamwe. À leur arrivée, cependant, les ex-FAR/Interahamwe avaient déjà quitté le village. Dans un premier temps, les militaires ont cherché à rassurer les civils en leur disant qu’ils n’avaient rien à craindre. Par la suite, ils leur ont demandé de se rassembler dans plusieurs bâtiments, dont l’église adventiste et l’école primaire Rubona, afin d’assister à une réunion. Au cours de l’après-midi, les militaires de l’AFDL/APR se sont rendus dans ces bâtiments et ont tué les villageois à coups de houe ou de petite hache sur la tête. Ils ont aussi tué des civils dans leurs maisons. Les corps ont été enterrés à Kinigi dans plusieurs fosses communes356.
  • Le 9 décembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué environ 280 civils dans le village de Katoyi, au sud-ouest du territoire de Masisi. À leur arrivée, les militaires ont demandé au chef coutumier d’organiser une réunion avec la population. Ils ont ensuite encerclé les civils rassemblés au centre du village et les ont ligotés avant de les tuer à l’arme blanche ou à coups de petite hache. Ceux qui ont tenté de s’enfuir ont été tués par balle. Un grand nombre de femmes et d’enfants ainsi que des réfugiés rwandais figuraient au rang des victimes.357
  • Aux alentours du 23 décembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué plus de 460 civils banyarwanda hutu, en majorité des hommes, dans le village de Kausa, près de la localité de Nyamitaba. À leur arrivée, les militaires ont expliqué qu’ils ne cherchaient que les Interahamwe et qu’ils venaient pour réconcilier les communautés. Ils ont ensuite appelé la population à se rassembler sur la place du village afin d’assister à une réunion. Ils ont alors tiré des coups de feu puis ligoté les civils. Certains ont été enfermés dans des bâtiments, d’autres ont été emmenés dans les champs autour du village. D’autres enfin ont été conduits sur la colline Kanyabihanga. Les victimes ont, pour la plupart, été tuées à coups de marteau. Celles qui ont tenté de s’échapper ont été tuées par balle. Après ce massacre, les militaires ont violé de nombreuses femmes. Un grand nombre de femmes et d’enfants ainsi que des réfugiés rwandais rescapés du camp du Mugunga figuraient au rang des victimes358.
  • Le 24 ou le 25 décembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR venant de Kilolirwe ont tué près de 160 civils à la paroisse de Nyakariba, dans le territoire de Masisi. Arrivés dans le village, les militaires ont ordonné aux populations de Nyamitaba et Nyakariba de se rassembler à la paroisse de Nyakariba en vue d’assister à une réunion. Les victimes ont été ligotées avant d’être tuées à coups de marteau sur la tête. Ceux qui ont tenté de s’enfuir ont été tués par balle. Un prêtre au moins a été tué au cours de cette attaque. Les corps des victimes ont été jetés dans plusieurs fosses communes situées à proximité du dispensaire, de la paroisse et d’un endroit appelé Camp Nord. En 1997, les militaires de l’AFDL/APR sont revenus déterrer les ossements, dont une partie a été brûlée sur place359.
  • À compter de la fin de 1996 et au cours des mois suivants, des éléments de l’AFDL/APR basés sur la colline de Mufunzi ont enlevé et tué un nombre indéterminé de civils dans les collines autour de Ngungu. Les militaires ont arrêté les civils soupçonnés de collaborer avec les miliciens hutu au niveau des barrières érigées sur les principaux axes alentour. Ils ont aussi mené des raids réguliers sur les villages de Ngungu, Murambi, Kashovu, Karangara, Mumba, Kibabi et Nyambisi. Selon différentes sources, le nombre de victimes varierait entre une dizaine et plusieurs centaines. Les habitants de la région ont donné à la colline de Mufunzi le nom de Nyabihanga, qui signifie « lieu des crânes » en kinyarwanda360.
  • Fin  décembre  1996,  des  militaires  de  l’AFDL/APR  ont  tué  entre  16  et 22 personnes et incendié des maisons dans le village de Muheto, à 10 kilomètres de Nyakariba. Début 1997, ils sont revenus à Muheto et ont tué 16 civils361.
  • Le 9 janvier 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué entre 107 et 134 civils dans le village de Bitonga du territoire de Masisi. Arrivés très tôt le matin dans le village, les militaires ont accusé la population locale, en majorité des Banyarwanda hutu, de collaborer avec les ex-FAR/Interahamwe. Les militaires ont ensuite ouvert le feu ou lancé des grenades sur les civils362.
  • Aux alentours du 20 janvier 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 14 membres d’une même famille, dont des enfants, dans une maison du village de Kanyangote, près de la paroisse de Matanda363.
  • Le 25 janvier 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué au moins 20 civils Banyarwanda hutu dans le village de Kalangala. Les militaires avaient demandé aux villageois de se rassembler afin d’assister à une réunion. Ils les ont ensuite encerclés et ont ouvert le feu364.
  • Le 23 février 1997, au cours d’opérations militaires dirigées contre les éléments armés hutu opérant dans la région, des militaires de l’AFDL/APR ont tué plus d’une centaine de civils, pour la plupart des Banyarwanda hutu, dans le village de Rubaya. Certaines des victimes ont été tuées par balle, d’autres à l’arme blanche et d’autres encore sont mortes brûlées vives dans leurs maisons. Un grand nombre de femmes et d’enfants figuraient au rang des victimes365.
  • Vers le 23 février 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de civils dans le village de Nambi. Les militaires sont arrivés dans le village pendant le marché aux bovins et ont accusé certains civils d’avoir volé des vaches. Ils ont ensuite enlevé entre 30 et 50 civils. Le soir, des coups de feu ont été entendus et le lendemain 15 corps, dont ceux de deux femmes, ont été trouvés sur la colline Kayonde. Les corps des autres victimes n’ont à ce jour jamais pu être recouvrés366.
  • En avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR venus de Mushake, Kilolirwe et Ruvunda ont tué un nombre indéterminé de civils dans le village de Chandarama. Les victimes ont été tuées par balle ou à coups de houe. Selon une source, seuls les hommes auraient été massacrés. La population des villages dont les victimes étaient originaires a enterré les corps en divers lieux, situés pour la plupart à proximité de la rivière Kinyabibuga367.
  • Vers le 16 avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont massacré une centaine de civils à Mweso. Les victimes, pour la plupart des Banyarwanda hutu, étaient en route pour le marché de Kabizo lorsque les militaires, basés sur la colline Kilumbu, leur ont demandé de venir assister à une réunion publique. Certaines des victimes ont ensuite été tuées par balle et d’autres sont mortes brûlés vives dans une maison. Plusieurs corps ont été jetés dans la rivière Mweso. D’autres ont été inhumés dans une fosse commune derrière la paroisse de Mweso368.
  • Le 9 juillet 1997, des éléments des FAC/APR369 ont tué 17 civils et se sont livrés à des pillages dans le village de Ruzirantaka. Les militaires étaient venus pour piller la maison du Directeur de l’école mais au cours du pillage une dispute a éclaté et un militaire de l’AFDL/APR a été tué. Afin de couvrir ce décès vis-à-vis de leurs supérieurs hiérarchiques, les militaires ont décidé de créer un incident et ont tué 16 villageois370.
  • Le 12 juillet 1997, une coalition regroupant des Mayi-Mayi, des éléments armés hutu et des membres de groupes d’autodéfense villageois a tué entre 7 et 20 personnes, pour la plupart des Banyarwanda tutsi, dans le village de Ngungu. À la suite de ce massacre, des éléments des FAC/APR ont attaqué et détruit les villages de Katovu, Ufamando, Musongati, Kabingo, Rubaya, Kanyenzuki, Kibabi, et Ngungu. Le nombre exact de victimes reste indéterminé371.
  • Vers le mois d’août 1997, des éléments des FAC/APR ont brûlé vifs plusieurs centaines de civils, pour la plupart des Banyarwanda hutu, dans le village de Mushangwe. Après avoir ordonné à la population locale de se rassembler dans un bâtiment afin d’assister à une réunion, les militaires de l’AFDL/APR ont mis le feu à l’édifice372.

279. Après l’arrivée au pouvoir à Kinshasa du Président Laurent-Désiré Kabila, l’alliance entre l’AFDL/APR et les Mayi-Mayi hunde a rapidement volé en éclats. Accusant le nouveau pouvoir de chercher à les marginaliser au sein de la nouvelle armée et refusant que les militaires de l’APR ne s’installent durablement dans les deux provinces des Kivu, plusieurs groupes Mayi-Mayi ont repris la lutte armée. Le 22 juillet 1997, de violents combats ont éclaté dans le village de Katale, à 12 kilomètres de Masisi où l’AFDL/APR avait un camp militaire. Le 29 juillet, les militaires des FAC/APR ont reçu des renforts en provenance de Goma et lancé une opération de ratissage dans les environs de Masisi. Au cours de cette opération, ils ont commis de nombreuses exactions à l’encontre de la population civile, en majorité Hunde qu’ils accusaient de soutenir les Mayi-Mayi. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 29 juillet 1997, des éléments des FAC/APR en provenance du camp militaire de Katale ont tué une cinquantaine de civils, dont des femmes et des enfants. dans les bananeraies et les champs entourant le village de Mutiri, situé à côté de celui de Masisi. Les victimes, qui avaient fui le village après l’arrivée des militaires, ont été rattrapées et ligotées avant d’être pour certaines fusillées et pour d’autres tuées à coups de marteau sur la tête. Des tueries ont aussi eu lieu dans les villages environnants comme Kiterire. Les militaires se sont ensuite rendus jusqu’à Nyabiondo, à 19 kilomètres de Masisi. En chemin, ils ont tué plusieurs dizaines de civils et ont pillé et brûlé au moins une dizaine de villages, parmi lesquels Kanii, Masisi, Bulwa, Buabo, Bangabo, Kihuma, Luashi, Bukombo, Kamarambo et Kinyanguto373.

_________________________

352 Il n’a pas été possible de déterminer s’il s’agissait d’ex-FAR/Interahamwe ou de miliciens banyarwanda hutu.
353 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre 2008 et février 2009; APREDECI, « Mission d’enquête sur la situation des droits de l’homme dans la province du Nord-Kivu », 1997, p. 31; APREDECI, « Rapport circonstanciel, novembre 1996 et ses événements », 1996; AZADHO, communiqué de presse, « Massacre de plus de 500 personnes dans la localité de Kitchanga, zone de Masisi, par une bande armée », 6 décembre 1996.
354 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, mars 2009.
355 APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997; Peacelink, Rapport du Kivu – bilan victimes, territoire de Masisi, sans date. Disponible sur Internet à l’adresse suivante: http://ospiti.peacelink.it/bukavu/znews047.html.
356 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et février/mars 2009; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 27; Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu », 2006, p. 85.
357 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et février 2009; Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu », 2006, p. 86; APREDECI, GVP, CRE « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 30.
358 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et janvier 2009; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581), annexe, p. 48; Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6/Add.2), p. 7; Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu », 2006, p. 96; APREDECI, GVP, CREP « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p 34; La Grande Vision pour la défense des droits de l’homme, Rapport sur les violations des droits de l’homme dans la zone agropastorale de Masisi, mars 1997, p. 4.
359 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et janvier 2009; Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6/Add.2), par. 21; Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu », 2006, p. 97; La Grande Vision, Rapport sur les violations des droits de l’homme dans la zone agropastorale de Masisi, mars 1997, p. 4.
360 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et mars/avril 2009.
361 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord Kivu, décembre 2008 et janvier 2009; La Grande Vision Rapport sur les violations des droits de l’homme dans la zone agropastorale de Masisi, mars 1997, p. 3.
362 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et mars 2009; Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6/Add.2), p. 6; Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu », 2006, p. 81.
363 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, mars et avril 2009.
364 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et février/mars 2009; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 25; La Grande Vision, Rapport sur les violations des droits de l’homme dans la zone agropastorale de Masisi, mars 1997, p. 4.
365 Entretien avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, mars 2009, Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu, 2006 », p. 86; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 28.
366 Entretien avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, février 2009; Témoignage recueilli par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en RDC en 1997/1998; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581), annexe, p. 48; Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu », 2006, p. 83.
367 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et avril 2009; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 35.
368 Entretien avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008; AI, « Alliances mortelles dans les forêts congolaises », 1997, p. 15; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 35.
369 Comme mentionné précédemment, à partir de juin 1997, l’armée nationale de la RDC a pris le nom de Forces armées congolaises (FAC). Jusqu’au début de la deuxième guerre, les FAC comptaient en leur sein, outre les militaires de l’AFDL et les ex-FAZ, de nombreux militaires rwandais et, dans une moindre mesure, ougandais. Devant la difficulté de distinguer clairement à cette époque les militaires congolais des militaires rwandais, le signe FAC/APR a été utilisé pour la période allant de juin 1997 à août 1998.
370 APREDECI, « Mission d’enquête sur la situation des droits de l’homme dans la province du Nord-Kivu », 1997, p. 38; AZADHO, « Une année d’administration AFDL: plus ça change, plus c’est la même chose », 1997.
371 Entretien avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, mars 2009
372 AZADHO, « Une année d’administration AFDL: plus ça change, plus c’est la même chose », 1997, p. 5; AI, « Alliances mortelles dans les forêts congolaises », 1997, p. 8.
373 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008-janvier 2009; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 55 et 56; AI, « Alliances mortelles dans les forêts congolaises », 1997, p. 15 et 16; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 55 et 56.