Attaques contre les populations civiles – Nyiragogo (Petit-Nord) et Beni et Lubero (Grand-Nord)

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Territoire de Nyiragongo (Petit-Nord)

280. Le territoire de Nyiragongo est le plus petit des territoires de la province du Nord-Kivu et est situé entre la ville de Goma et le volcan Nyiragongo. Un camp de réfugiés se trouvait dans ce territoire, sur la route entre Goma et Rutshuru. À compter de la mi-octobre 1996, des militaires de l’AFDL/APR se sont installés dans la petite bande de terrain du parc national des Virunga située entre le village de Rugari, en territoire de Rutshuru, et celui de Kibumba, en territoire de Nyiragongo. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Aux alentours du 19 octobre 1996, des hommes non identifiés armés de fusils et de lance-roquettes ont tué au moins une centaine de personnes entre les villages de Rugari et Kibumba. Les victimes ont été tuées lors d’une série d’attaques menées contre des véhicules circulant sur l’axe Goma-Rutshuru. Les 18 membres d’une équipe de football de Butembo qui se rendaient à Goma ont ainsi tous été tués lors d’une attaque à la lance-roquette contre leur minibus. Selon une source, des FAZ affectés à la sécurisation des véhicules feraient partie des victimes. Les rescapés ont été pourchassés par les assaillants et tués dans la forêt374.
  • Le 12 avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué au moins 33 personnes au niveau des villages de Kanyati et Mudja. À leur arrivée à Kanyati, les militaires ont demandé à la population de les suivre pour les aider à trouver des Interahamwe. En cours de route, ils ont ordonné aux civils de se coucher par terre et ont ouvert le feu, tuant 23 personnes. Dans l’après midi, ils sont entrés à Mudja et ont ouvert le feu sur la population, tuant dix civils et en blessant quatre. Les militaires avaient accusé la population de Mudja de se livrer au troc de vivres et de charbon avec les Interahamwe opérant à proximité de Goma375.

Territoires de Beni et Lubero (Grand-Nord)

281. En 1997 et 1998, les militaires de l’AFDL/APR, qui ont pris à partir de juin 1997 le nom de Forces Armées Congolaises (FAC)376 et ceux de l’APR ont commis des massacres dans les territoires de Lubero et Beni. Comme la population locale est composée à 95% de Nande et que peu de réfugiés ont tenté de fuir en passant par ces deux territoires, ces massacres ont répondu à une logique différente de celle observée dans les territoires de Masisi et Rutshuru. Les principaux massacres ont eu lieu en 1997 après la rupture de l’alliance entre les militaires de l’AFDL/APR et les nombreux groupes Mayi-Mayi locaux. Dénonçant l’ingérence constante du Rwanda dans la région et les méthodes brutales utilisées par les militaires de l’AFDL/APR à l’égard des réfugiés comme des populations locales, de nombreux groupes Mayi-Mayi ont pris leur distance puis sont entrés en conflit avec eux. En réaction, les militaires de l’AFDL/APR ont mené plusieurs attaques contre les populations soupçonnées de collaborer avec les groupes Mayi-Mayi. Dans ce contexte l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 6 janvier 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 184 personnes et incendié le village de Kyavinyonge, dans le territoire de Beni. Les militaires, venus de Butembo, étaient à la poursuite d’éléments Mayi-Mayi originaires de Kasindi. Les Mayi-Mayi « kasindiens » avaient fait de Kyavinyonge l’un de leurs fiefs. Deux semaines avant le massacre, de violents combats avaient eu lieu à 40 kilomètres de Kyavinyonge, dans le village de Kyondo, obligeant les troupes de l’AFDL/APR à se replier sur Butembo. Après avoir chassé les Mayi-Mayi de Kyavinyonge, les militaires ont demandé à certains civils de sortir de leurs maisons et les ont tués par balle. Ils ont également lancé des grenades sur les habitations, faisant de nombreuses victimes. Parmi les 184 corps retrouvés figurait celui d’un pasteur tué alors qu’il tentait de convaincre les militaires d’épargner les civils se trouvant dans son église. Les corps des victimes ont été enterrés dans différentes fosses communes situées dans le village377.
  • Début janvier 1998, des militaires des FAC/APR ont tué un nombre indéterminé de personnes dans le village de Kyavinyonge. Les militaires étaient venus à Kyavinyonge afin d’en déloger les Mayi-Mayi. Au cours de l’opération, ils ont tué des civils et pillé des habitations378.
  • Le 20 février 1998, des militaires des FAC/APR ont tué et violé un nombre indéterminé de civils et pillé des habitations lors d’une opération de ratissage dans la ville de Butembo. Les victimes étaient accusées de collaborer avec les Mayi-Mayi Vurondo qui avaient attaqué le camp des FAC/APR situé sur la colline Kikyo, près du centre ville de Butembo379.
  • Du 14 au 17 avril 1998, des éléments des FAC/APR ont tué plusieurs centaines de civils, commis de nombreux viols et procédé à de nombreuses arrestations arbitraires dans les villages de la périphérie de Butembo. Certaines sources avancent le nombre de 300 victimes. Les FAC/APR avaient accusé les victimes de soutenir les Mayi-Mayi responsables de la récente attaque contre leur base militaire de Butembo. L’opération de ratissage a duré plusieurs jours. Certaines victimes ont été tuées par balles dans leurs maisons; d’autres ont été acheminées au camp militaire de Kikyo où elles ont été fusillées, écrasées par une jeep ou enterrées vivantes. Pendant ces opérations de ratissage, les militaires sont passés de maison à maison à la recherche des Mayi-Mayi. Ils ont violé des dizaines de femmes et de jeunes filles dans leurs maisons. À plusieurs reprises ils ont forcé les hommes à coucher avec leurs sœurs et/ou leurs filles380.
  • Entre 1996 et 1998, les Mayi-Mayi « kasindiens » ont procédé au recrutement forcé de nombreux mineurs et adultes dans le territoire de Lubero. Après la mort de leur commandant, une partie de ce groupe a pris le nom de Mayi-Mayi Vurondo. Certains mineurs, dont beaucoup n’avaient pas plus de 11 ans, ont été recrutés dans les écoles sur la base du volontariat contre la promesse, notamment, d’une somme d’argent. D’autres ont, en revanche, été enlevés et enrôlés de force. Une fois enrôlés, les mineurs étaient soumis à des cérémonies initiatiques secrètes. Ils étaient aussi tatoués de façon à pérenniser leur lien avec le groupe. Les mineurs vivaient dans d’abominables conditions et étaient soumis à un régime de terreur381.

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374 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008 et mars/avril 2009.
375 AZADHO, « Une année d’administration AFDL: plus ça change plus c’est la même chose », 1997, p. 30; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 42; APREDECI, « Rapport sur le massacre de Mudja », 25 avril 1997; AI, «Alliances mortelles dans les forêts congolaises», 1997, p. 14.
376 Comme mentionné précédemment, à partir de juin 1997, l’armée nationale de la RDC a pris le nom de Forces armées congolaises (FAC). Jusqu’au début de la deuxième guerre, les FAC comptaient en leur sein, outre les militaires de l’AFDL et les ex-FAZ, de nombreux militaires rwandais et, dans une moindre mesure, ougandais. Devant la difficulté de distinguer clairement à cette époque les militaires congolais des militaires rwandais, le signe FAC/APR a été utilisé pour la période allant de juin 1997 à août 1998.
377 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre 2008 et février 2009; APREDECI, GVP, CRE, « L’Apocalypse au Nord-Kivu », 1997, p. 43; Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu », 2006, p. 106.
378 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, février 2009.
379 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, février 2009; ASADHO, Rapport annuel, 1998, p. 13; Groupe de chercheurs libres du Graben, « Rapport sur les massacres perpétrés au camp militaire de Kikyo »; AI, « RDC: Une année d’espoirs anéantis », 1998, p. 2-3.
380 Ibid.
381 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, février 2009.