Attaques contre les réfugiés des camps de Mugunga et lac Vert (Nord-Kivu)

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220. Après la chute du camp militaire des FAZ de Rumangabo le 29 octobre, les militaires de l’AFDL/APR ont lancé une attaque sur Goma et ont pris le contrôle de la ville le 1er novembre 1996. Pendant quelques jours, les ex-FAR/Interahamwe en provenance des camps de Mugunga et lac Vert ainsi que des groupes armés Mayi-Mayi originaires de Sake ont bloqué les militaires de l’AFDL/APR à 7 kilomètres du camp de Mugunga. Une partie des réfugiés en ont profité pour quitter les camps et se rapprocher de la cité de Sake. Le 12 novembre, cependant, après avoir conclu une alliance avec les Mayi-Mayi locaux, les militaires de l’AFDL/APR ont pris le contrôle des collines entourant Sake et ont encerclé les réfugiés amassés entre le camp de Mugunga et la cité. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 14 novembre 1996, des militaires de l’AFDL/APR ont tiré à l’arme lourde de manière indiscriminée sur le camp de Mugunga et ses environs pendant six heures, tuant un nombre indéterminé de réfugiés238.

221. Dans l’après-midi du 14 novembre, après de violents combats avec les Mayi-Mayi à Sake, les ex-FAR/Interahamwe présents dans le camp de Mugunga ont brisé l’encerclement et pris la fuite en direction de Masisi, entraînant à leur suite de nombreux réfugiés. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Vers le 14-15 novembre 1996, les militaires de l’AFDL/APR positionnés sur les collines autour de Sake ont tué un grand nombre de réfugiés qui tentaient de s’enfuir en direction de Masisi en tirant sur eux de manière indiscriminée, à l’arme lourde et à la mitrailleuse. Des centaines de corps de réfugiés ont été enterrés dans une fosse commune située dans la plantation de café de Madimba près de Sake239.

222. Le 15 novembre 1996, tandis que le Conseil de sécurité donnait son feu vert à l’envoi d’une force multinationale dans l’est du Zaïre, les militaires de l’AFDL/APR sont entrés dans le camp de Mugunga et ont ordonné aux réfugiés encore présents dans le camp de rentrer au Rwanda240. Entre le 15 et le 19 novembre 1996, plusieurs centaines de milliers de réfugiés ont quitté les camps de Mugunga et du lac Vert et sont rentrés au Rwanda241. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 15 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué de manière délibérée des réfugiés dans le camp de Mugunga et ses alentours. Un journaliste qui est entré dans le camp le 16 novembre a dénombré 40 victimes tuées par balles et à l’arme blanche, parmi lesquelles des femmes, des enfants et deux bébés242. Un nombre indéterminé de réfugiés ont été tués entre Mugunga et la cité de Sake. Le 19 novembre, des volontaires de la Croix-Rouge zaïroise de Goma ont ramassé et inhumé 166 cadavres trouvés le long de la route entre la cité de Sake et la périphérie du camp de Mugunga243.

223. De nombreux témoins ont signalé l’existence d’une barrière entre les camps de Mugunga et du lac Vert où les éléments de l’AFDL/APR triaient les réfugiés en fonction de l’âge et du sexe. Les militaires laissaient en général passer les femmes et les enfants ainsi que les personnes âgées. Les hommes adultes étaient, en revanche, très souvent arrêtés et exécutés. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Entre le 15 et le 16 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont arrêté un nombre indéterminé d’hommes hutu rwandais en provenance du camp du lac Vert et de Mugunga et les ont exécutés. Certains ont été ligotés puis jetés vivants dans le lac Vert où ils sont morts noyés. D’autres ont été exécutés d’une balle dans la tête et leurs corps ont été jetés dans le lac244.
  • Les tueries dans les environs de Mugunga et du lac Vert ont continué pendant plusieurs semaines. Des rescapés ont raconté que les militaires de l’AFDL/APR les ont attaqués fin novembre 1996 alors qu’ils cherchaient à se faire rapatrier au Rwanda. Certains réfugiés qui sortaient du parc ont été regroupés puis exécutés. Une source a rapporté l’existence de plusieurs fosses communes à l’intérieur du parc situées à 5 kilomètres du camp de Mugunga245.
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236Colette Braeckman, « Ces cadavres dans le sillage des rebelles », Le Soir, 26 février 1997.
237Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, février 2009; documents confidentiels remis à l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998.
238Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre 2008; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581); OIJ, « Recueil de témoignages sur les crimes commis dans l’ex-Zaïre depuis octobre 1996 », septembre 1997, p. 6; APREDECI [Action paysanne pour la reconstruction et le développement communautaire intégral], Rapport circonstanciel: novembre 1996 et ses événements, 1996, p. 8.
239Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; APREDECI, Rapport circonstanciel: novembre 1996 et ses événements, 1996, p. 8; APREDECI, Groupe des volontaires pour la paix (GVP), Centre de recherche et d’encadrement populaire (CRE), « L’Apocalypse au Nord-Kivu », octobre 1997, p. 23.
240Voir résolution 1080 (1996) du Conseil de sécurité, en date du 15 novembre 1996. Avec le retour massif des réfugiés rwandais, le projet de déployer une force de maintien de la paix dans l’est du Zaïre a cessé d’être perçu comme une priorité et les militaires canadiens ont quitté leur base avancée de Kampala à la fin du mois de décembre 1996.
241Le chiffre de 600 000 personnes rapatriées est le plus souvent cité. Toutefois, ce chiffre est une estimation, les réfugiés rapatriés n’ayant pas été recensés au passage de la frontière entre les 15 et novembre 1996. De nombreux observateurs estiment qu’entre 350 000 et 500 000 réfugiés ont traversé la frontière au cours de cette période.
242 The Toronto Star, « Bloodied Corpses Litter Camp – Signs of Massacre Found in Deserted Refugee Camp », 16 novembre 1996.
243AFP, « Les volontaires de la Croix-Rouge chargés du ramassage des cadavres », 19 novembre 1996