Attaques contre les réfugiés hutu – Axe Goma-Rutshuru (Nord-Kivu)

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Attaques contre les réfugiés des camps situés sur l’axe Goma-Rutshuru

211. En octobre 1996, le HCR estimait à 717 991 le nombre de réfugiés rwandais présents dans la province du Nord-Kivu. La plupart vivaient dans les cinq camps situés autour de la ville de Goma. Les camps de Kibumba (194 986), Katale (202 566), Kahindo (112 875) se trouvaient sur la route de Rutshuru, au nord de Goma. Les camps de Mugunga (156 115) et lac Vert (49 449) étaient situés sur la route de Sake, à moins de 10 kilomètres à l’ouest de Goma220. Bien que la grande majorité des réfugiés étaient des civils non armés, ces camps servaient également d´arrière-bases aux militaires ex-FAR (particulièrement nombreux dans le camp du lac Vert) et aux miliciens Interahamwe (particulièrement nombreux dans le camp de Katale) pour mener de fréquentes incursions en territoire rwandais221.

212. Tout comme au Sud-Kivu, des éléments infiltrés en provenance du Rwanda auraient attaqué les camps de réfugiés sur l’axe Rutshuru à plusieurs reprises, avant même le début officiel des hostilités. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Dans la soirée du 27 juin 1996, un groupe d’infiltrés venus du Rwanda ont tué trois réfugiés, deux militaires du Contingent zaïrois pour la sécurité des camps (CZSC)222 et trois gardiens de la Croix- Rouge lors d’une attaque contre le camp de réfugiés de Kibumba, dans le territoire de Nyiragongo223.

213. À partir de la mi-octobre 1996, les infiltrations en provenance du Rwanda se sont intensifiées et les militaires de l’AFDL/APR ont commencé à tirer de manière sporadique, à l’arme lourde et à l’arme légère sur les trois camps situés le long de l’axe Goma-Rutshuru224. Le camp de Kibumba, situé à 25 kilomètres au nord de Goma, a été le premier à tomber. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Dans la nuit du 25 au 26 octobre 1996, des militaires de l’AFDL/APR ont bombardé le camp de Kibumba à l’artillerie lourde, tuant un nombre indéterminé de réfugiés et détruisant l’hôpital du camp. Fuyant Kibumba, près de 194 000 réfugiés ont pris la direction du camp de Mugunga225.

214. Le camp de Katale a également été attaqué dans la nuit du 25 au 26 octobre 1996 par l’AFDL/APR mais les militaires des FAZ/CZCS et les éléments ex-FAR/Interahamwe ont repoussé l’attaque. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 26 octobre 1996, des militaires de l’AFDL/APR ont attaqué le camp de Katale à l’arme lourde, tuant plusieurs dizaines de réfugiés ainsi qu’un militaire zaïrois du Contingent zaïrois pour la sécurité des camps (CZSC). Ils ont également tué un nombre indéterminé de réfugiés à l’arme blanche226.

215. Après de violents combats avec les militaires FAZ et des éléments ex-FAR/Interahamwe du camp de réfugiés de Katale venus en renfort, les militaires de l’AFDL/APR ont pris le contrôle du camp militaire des FAZ de Rumangabo, situé entre Goma et Rutshuru à proximité de la frontière avec le Rwanda. Le 30 octobre, la plupart des réfugiés des camps de Katale et Kahindo qui se trouvaient à proximité du camp militaire ont commencé à prendre la fuite. Comme les troupes de l’AFDL/APR avaient coupé la route allant vers Goma, certains réfugiés sont partis en direction de Masisi en passant par Tongo tandis que d’autres ont tenté de rejoindre le camp de Mugunga à travers le parc national des Virunga227. Certains réfugiés sont pour leur part restés dans les camps. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 31 octobre 1996, des militaires de l’AFDL/APR auraient tué plusieurs centaines de réfugiés qui se trouvaient encore dans les camps de Kahindo et de Katale. Le Rapporteur spécial sur la question de la violation des droits de l’homme au Zaïre, M. Roberto Garretón, qui s’est rendu sur place quelques mois plus tard a estimé le nombre de victimes à 143 dans le camp de Katale et entre 100 et 200 dans celui de Kahindo228.

216. Au cours de la première semaine suivant l’offensive des militaires de l’AFDL/APR au Nord-Kivu, un petit nombre de réfugiés a choisi de rentrer au Rwanda. Selon le HCR, environ 900 réfugiés ont ainsi traversé la frontière au niveau de Mutura entre le 26 et le 31 octobre 1996229. Les pressions physiques et psychologiques que subissaient les réfugiés de la part des ex-FAR/Interahamwe expliquent, en partie, leur réticence à rentrer au Rwanda. Toutefois, ce refus de rentrer était également lié aux risques encourus lorsque les réfugiés se présentaient spontanément aux militaires de l’AFDL/APR en vue de leur rapatriement. En effet, les militaires de l’AFDL/APR auraient tué de manière délibérée et à plusieurs occasions des réfugiés leur demandant de les aider à rentrer au pays.

217. Il a été impossible de déterminer le nombre de réfugiés tués par les militaires de l’AFDL/APR pendant les attaques menées contre les camps situés le long de la route reliant Goma à Rutshuru. Les chiffres publiés par l’Équipe d’urgence de la biodiversité (EUB), une ONG locale qui a participé, avec l’aide de l’Association des volontaires du Zaïre (ASVOZA) et de la Croix-Rouge du Zaïre à l’inhumation des corps des victimes afin de prévenir d’éventuelles épidémies dans la région, donnent toutefois une idée de l’ampleur des tueries. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

Du 2 au 30 novembre 1996, la population de Kibumba a inhumé 2 087 corps. Entre le 30 novembre 1996 et le 26 janvier 1997, EUB a enterré 1 919 corps dans le camp de Kibumba et ses environs230.

Entre le 1er et le 25 décembre 1996, EUB a inhumé 281 corps dans le camp de Kahindo. Certains corps ont été découverts dans des latrines publiques. Beaucoup de victimes avaient les mains ligotées231.

Entre le 1er décembre 1996 et le 18 janvier 1997, EUB a inhumé 970 corps dans le camp de Katale. De nombreux corps ont été découverts dans des latrines publiques232.

218. À la date du 1er novembre 1996, tous les camps de réfugiés entre Goma et Rutshuru avaient été démantelés. Les rescapés de Kibumba se trouvaient dans les environs du camp de Mugunga. Ceux de Kahindo et Katale étaient dispersés à travers le parc national des Virunga. En cherchant à échapper aux équipes d’interception de l’AFDL/APR envoyées dans le parc des Virunga, de nombreux réfugiés ont erré dans la forêt pendant plusieurs semaines et sont morts de soif, faute d’eau potable disponible au niveau de la plaine de lave recouvrant le parc à cet endroit. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Au cours de novembre 1996, des militaires de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de rescapés des camps de Kahindo et Katale au niveau des barrières établies entre le volcan Nyiragongo et le camp de Mugunga. Les rescapés de Kahindo et Katale qui ont survécu à cette traque ont été les premiers à raconter que les troupes de l’AFDL/APR triaient les réfugiés qu’ils arrêtaient à la sortie du parc en fonction de leur âge et de leur sexe et qu’ils exécutaient systématiquement les adultes de sexe masculin233.
  • Au cours des mois de novembre et décembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de réfugiés qui s’étaient réinstallés dans des camps de fortune dans le parc national des Virunga234.

219. Les tueries dans les environs des anciens camps de Katale, Kahindo et Kibumba et dans le parc national des Virunga ont continué pendant plusieurs mois235. En février 1997, un témoin a raconté que la population locale découvrait chaque matin de nouveaux cadavres de personnes recemment tuées sur le site de l’ancien camp de réfugiés de Kibumba236. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 11 avril 1997, des militaires de l’AFDL/APR ont tué plusieurs centaines de réfugiés dans un endroit appelé Mwaro situé dans la forêt à proximité du village de Kibumba. Les victimes qui tentaient de rentrer au Rwanda avaient été interceptées le 9 avril par des militaires de l’AFDL/APR à proximité du village de Kibumba. Elles ont ensuite été enfermées dans une mosquée non loin de l’Institut Kibumba ainsi que dans le bâtiment d’un ancien projet d’élevage puis tuées par les militaires237.
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220 Office of the Regional Special Envoy of UNHCR, Kigali, Rwanda, Zaïre: « UNHCR population Statistics as of 26 September 1996 ».
221 Degni-Ségui estimait le nombre d’éléments ex-FAR dans les camps du Zaïre à 16 000; voir Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda soumis par René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme (E/CN.4/1995/12).
222 Cette unité était financée depuis 1995 par le HCR pour assurer la protection de ses installations.
223 Témoignage recueilli par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; IRIN, « Weekly Roundup of Main Events in the Great Lakes Region », 23 – 30 juin 1996.
224 Reuters, « UN: East Zaïre Troubles Spread », 21 octobre 1996.
225 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre 2008; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581); Organisation interafricaine des juristes (OIJ.), « Recueil de témoignages sur les crimes commis dans l’ex-Zaïre depuis octobre 1996 », septembre 1997, p. 5-6; Reuters, « Human Tide of Refugees on the Move in Zaïre », 27 octobre 1996; Reuters, « Aid Agencies Scramble to Help 500,000 in Zaïre », 28 octobre 1996; Voice of America, « Background Report », 27 octobre 1996.
226 Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; HRW, « Zaïre: Attacked by all Sides. Civilians and the War in Eastern Zaïre», 10 mars 1997, p. 12-15; OIJ, « Recueil de Témoignages sur les crimes commis dans l’ex-Zaïre depuis octobre 1996 », septembre 1997, p. 11-12; AFP, « Un soldat zaïrois tué et trois blessés dans l’attaque du camp de Katale, selon le HCR », 27 octobre 1996.
227 Reuters, « UN Says 115,000 Refugees Flee Camp in Zaïre », 31 octobre 1996.
228 Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6/Add.2), par. 11; documents confidentiels remis à l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; OIJ, Recueil de témoignages sur les crimes commis dans l’ex-Zaïre depuis octobre 1996, septembre 1997, p. 12.
229 IRIN, « Emergency Update No. 1 on Kivu, Zaïre », 30 octobre 1996.
230 Équipe d’urgence de la biodiversité (EUB), Rapport final des activités de ramassage & inhumation de corps », février 1997.
231 Ibid.
232 Ibid.
233 Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; OIJ, Recueil de témoignages sur les crimes commis dans l’ex-Zaïre depuis octobre 1996, septembre 1997, p. 7-8.
234 Entretien avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, février 2009; OIJ, Recueil de témoignages sur les crimes commis dans l’ex-Zaïre depuis octobre 1996, septembre 1997; HRW, «Zaïre: Attacked by all Sides. Civilians and the War in Eastern Zaïre», 10 mars 1997, p. 12-15.
235 Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6/Add.2), p. 7 et 8; OIJ, « Recueil de témoignages sur les crimes commis dans l’ex-Zaïre depuis octobre 1996 », septembre 1997, p. 12-13.
236 Colette Braeckman, « Ces cadavres dans le sillage des rebelles », Le Soir, 26 février 1997.
237 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, février 2009; documents confidentiels remis à l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998.