Attaques contre les réfugiés hutu en fuite à travers le Walikale

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226. Les réfugiés rwandais sont arrivés dans le territoire de Walikale en novembre 1996 en empruntant trois axes différents. Un groupe qui venait de Bukavu a atteint le territoire de Walikale en passant par Bunyakiri. Un autre groupe, en provenance également de Bukavu, est passé par la forêt de Kahuzi-Biega via Nyabibwe. Un autre groupe enfin qui avait fui les camps du Nord-Kivu a atteint le territoire de Walikale en passant par le sud du territoire de Masisi et les localités de Busurungi et Biriko. Poursuivis par les militaires de l’AFDL/APR, les retardataires, souvent laissés derrière par les hommes armés, ont été attaqués et tués de manière indiscriminée.

227. Les militaires de l’AFDL/APR qui venaient de Bukavu sont arrivés à Hombo, un village situé à la frontière du Nord-Kivu et Sud-Kivu, aux alentours du 7 décembre 1996. Ils se sont ensuite divisés en plusieurs groupes. Une partie des troupes a continué en direction de la localité de Walikale tandis qu’une d’autre est restée dans la zone afin de traquer les réfugiés. Un troisième groupe est parti à la poursuite des réfugiés en fuite dans le groupement de Walowa-Luanda, au sud-est du territoire de Walikale.

228. À leur arrivée dans le territoire de Walikale, les militaires de l’AFDL/APR ont organisé des réunions publiques à l’attention de la population zaïroise. Au cours de ces réunions, ils ont accusé les réfugiés hutu d’être collectivement responsables du génocide des Tutsi au Rwanda. Ils ont aussi affirmé que les réfugiés projetaient de commettre un génocide contre les populations civiles zaïroises de la région. Dans leurs discours, ils comparaient souvent les réfugiés à des « cochons » saccageant les champs des villageois. Ils demandaient aussi souvent aux Zaïrois de les aider à les débusquer et à les tuer. Selon plusieurs sources, le terme « cochons » était le nom de code utilisé par les troupes de l’AFDL/APR pour parler des réfugiés hutu rwandais. Lorsque les militaires de l’AFDL/APR interdisaient aux Zaïrois d’accéder à certains sites d’exécution, ils leur disaient qu’ils étaient en train de « tuer des cochons »254.

229. Dans cette région, les massacres ont été organisés selon un schéma quasi identique, de façon à tuer un maximum de victimes. À chaque fois qu’ils repéraient une grande concentration de réfugiés, les militaires de l’AFDL/APR tiraient sur eux de manière indiscriminée à l’arme lourde et à l’arme légère. Ils promettaient ensuite aux rescapés de les aider à rentrer au Rwanda. Après les avoir rassemblés sous différents prétextes, ils les tuaient le plus souvent à coups de marteau ou de houe. Ceux qui tentaient de fuir étaient tués par balles. Plusieurs témoins ont affirmé qu’en 1999, des militaires de l’APR/ANC255 se seraient rendus spécialement sur les sites de plusieurs massacres afin de déterrer les corps et de brûler les cadavres256. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants:

  • À partir du 9 décembre 1996, des militaires de l’AFDL/APR ont tué par balles plusieurs centaines de réfugiés, parmi lesquels un grand nombre de femmes et d’enfants au niveau du pont de Hombo. Au cours des jours suivants, ils ont brûlé vifs un nombre indéterminé de réfugiés au bord de la route au niveau de la localité de Kampala, située à quelques kilomètres de Hombo. Avant d’être tuées, de nombreuses femmes ont été violées par les militaires. Avant de les tuer, les militaires avaient demandé aux victimes de se regrouper en vue de leur rapatriement au Rwanda257.
  • Vers le 9 décembre, des militaires de l’AFDL/APR ont intercepté et exécuté plusieurs centaines de réfugiés rwandais dans les environs du village de Chambucha, situé à 4 kilomètres de Hombo. Les victimes, parmi lesquelles se trouvaient un grand nombre de femmes et d’enfants ont été tuées par balles ou à coups de marteau et de houe sur la tête près d’un pont au dessus de la rivière Lowa. Avant de les tuer, les militaires de l’AFDL/APR avaient promis aux réfugiés de les rapatrier au Rwanda avec l’aide du HCR. La plupart des corps ont ensuite été jetés dans la rivière Lowa258.

230. Lorsque les militaires de l’AFDL/APR ont pris le contrôle de la route asphaltée entre Hombo et Walikale, les réfugiés rwandais qui n’étaient pas encore arrivés sur la grande route entre Bukavu et Walikale ont dû rebrousser chemin en direction de Masisi. La plupart se sont installés provisoirement dans le village de Biriko du groupement de Walowa-Luanda. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Autour du 17 décembre 1996, des militaires de l’AFDL/APR en provenance de Ziralo (Sud-Kivu), Bunyakiri (Sud-Kivu) et Ngungu (Nord-Kivu) ont encerclé les camps de fortune établis à Biriko et tué des centaines de réfugiés parmi lesquels des femmes et des enfants. Les militaires ont tué les victimes par balles ou à coups de houe. La population de Biriko a enterré des cadavres dans le village.
    Beaucoup de cadavres ont également été jetés dans la rivière Nyawaranga259

231. Au cours des jours suivants, les militaires de l’AFDL/APR ont poursuivi leur traque, attaquant des réfugiés dans les villages de Kilambo, Busurungi (colline Bikoyi Koyi), Nyamimba et Kifuruka situés dans le groupement de Walowa-Luanda du territoire de Walikale. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • En décembre 1996 des militaires de l’AFDL/APR ont tué plusieurs centaines de réfugiés aux environs de la localité de Kifuruka, située à 10 kilomètres de Biriko. Les militaires avaient rassemblé les victimes dans le village de Kifuruka puis les avaient conduits jusqu’à la route en leur faisant croire qu’ils allaient les aider à rentrer au Rwanda. Une fois sortis du village cependant, les militaires les ont tuées par balles ou à coups de machettes260.

232. Pendant que certaines unités de l’AFDL/APR commettaient ces massacres dans le groupement de Walowa-Luanda, d’autres ont continué leur progression vers le chef-lieu du territoire, Walikale. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Au cours de la troisième semaine du mois de décembre 1996, des troupes de l’AFDL/APR ont tué des centaines de réfugiés rwandais au niveau de la localité de Musenge, située entre Hombo et Walikale. Les militaires de l’AFDL/APR avaient mis en place plusieurs barrages le long des routes afin d’intercepter les réfugiés. Ils promettaient aux victimes de les aider à rentrer au Rwanda par l’intermédiaire du HCR puis les conduisaient dans des maisons à Musenge. Au bout d’un certain temps, les victimes étaient extraites des maisons puis tuées à coups de barre de fer au niveau des collines d’Ikoyi et de Musenge (à côté du dispensaire)261.

233. Un système d’exécution a été mis en place dans les environs d’Itebero où, à partir de décembre 1996, des unités spéciales de l’AFDL/APR se sont mises à traquer de manière systématique les réfugiés. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Au cours du mois de décembre 1996, des militaires de l’AFDL/APR ont tué plusieurs centaines de réfugiés dans la localité de Mutiko. Une fois interceptées au niveau des barrières érigées par les militaires, les victimes étaient acheminées dans le village de Mukito. Les militaires leur donnaient de la nourriture et leur demandaient de se préparer à monter dans les camions du HCR censés les attendre à la sortie du village. Les victimes étaient ensuite conduites en dehors de Mukito sur la route puis tuées à coups de bâton, de marteau ou de hache sur la tête. Les militaires incitaient la population autochtone à participer aux tueries. Ils la forçaient ensuite à enterrer les cadavres262.

234. Aux alentours du 16 décembre 1996, les militaires de l’AFDL/APR sont arrivés à Walikale-centre. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Entre la fin de 1996 et le début de l’année 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de réfugiés dans Walikale-centre. La plupart des victimes ont été tuées dans le quartier Nyarusukula. Ce quartier avait été transformé en quartier militaire après l’installation des troupes de l’AFDL/APR dans la cité et l’accès en était interdit aux civils. La plupart des corps des victimes ont été jetés dans la rivière Lowa et ses affluents263.

235. Un autre groupe de réfugiés rwandais en provenance de Masisi a rejoint, en décembre 1996, le territoire de Walikale en passant par un sentier forestier reliant le village de Ntoto à celui de Ngora, situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Walikale centre. Après la prise de Walikale par les forces de l’AFDL/APR, ces réfugiés ainsi que des ex-FAR/Interahamwe ont tenté de se cacher dans le village de Kariki en s’installant dans une entreprise de pisciculture abandonnée située sur le sentier entre les villages de Ntoto et Ngora. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Début 1997, des militaires de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de réfugiés dans le camp de fortune de Kariki, situé à 13 kilomètres de Walikale. Les militaires venaient de Ngora où ils avaient contraint des civils à les suivre et à porter leurs bagages et leurs caisses de munitions. Arrivés à Kariki, ils ont surpris des éléments ex-FAR/Interahamwe qui se trouvaient en bas de la colline et les ont désarmés. Après avoir tué les ex-FAR/Interahamwe, ils ont attaqué le camp qui se trouvait de l’autre côté de la vallée. La majorité des corps n’ont pas été ensevelis et l’Équipe Mapping a pu constater que les ossements étaient toujours visibles à la date de rédaction du présent rapport264.

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254 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008.
255 Armée nationale congolaise, la branche armée du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), mouvement politico-militaire créé en août 1998.
256 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008.
257 Entretien avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, avril 2009 et avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, mars 2009; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581); documents confidentiels remis à l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998.
258 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre-décembre 2008 et avril 2009; témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998.
259 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre/décembre 2008 et avril 2009; CADDHOM, « Les atrocités commises en province du Kivu au Congo-Kinshasa (ex-Zaïre) de 1996-1998 », juillet 1998.
260 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre/décembre 2008 et avril 2009.
261 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre/décembre 2008 et février 2009; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581); document confidentiel remis à l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; APREDECI, GVP, CRE, « L’apocalypse au Nord-Kivu », octobre 1997, p. 52; CADDHOM, « Enquête sur les massacres de réfugiés rwandais et burundais », septembre 1997; Associated Press, « Massacre: Victims Leave Clues Behind », 14 mars 1998.
262 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre-décembre 2008; témoignage recueilli par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998.
263 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, novembre-décembre 2008; CADDHOM, « Enquête sur les massacres des réfugiés rwandais et burundais hutu ainsi que des populations civiles congolaises lors de la guerre de l’AFDL », juin 1998.
264 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008.