Vers la Transition – Province Orientale

Section I > CHAPITRE IV. Janvier 2001-juin 2003 : Vers la Transition > A. Province Orientale

398. De janvier 2001 à juin 2003, en dépit d’une accélération des négociations de paix, la situation des populations de la province Orientale ne s’est pas améliorée. Dans la zone sous contrôle du RCD-Goma (ville de Kisangani, territoires d’Ubundu, d’Opala, d’Isangi et de Yahuma), les militaires de l’ANC/APR ont continué à commettre des exactions et à faire un usage disproportionné de la force à l’encontre des civils. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • En janvier 2001, dans le village d’Obenge, des éléments de l’ANC/APR basés à Opala ont torturé et tué au moins 11 civils, dont des femmes et des enfants, soupçonnés d’appartenir à un groupe Mayi-Mayi. Les militaires ont également incendié une partie du village703.

399. En juin 2001, l’ANC/APR a lancé une opération punitive contre les groupes Mayi-Mayi opérant dans la zone diamantifère de Masimango, au sud du territoire d’Ubundu. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Dans la nuit du 20 au 21 juin 2001, avant d’atteindre Masimango, des éléments de l’ANC/APR ont tué à l’arme blanche 11 civils, dont plusieurs mineurs, dans le village de Kababali. Ils ont ensuite incendié le village, n’épargnant que les femmes et quatre hommes704.
  • Le 21 juin 2001 au matin, des éléments de l’ANC/APR ont tué 16 personnes et violé 10 femmes dans le village de Masimango705.
  • Au cours des six mois suivant l’attaque du 21 juin 2001 sur le village de Masimango, des militaires de l’ANC/APR basés dans la région ont tué une centaine de personnes au moins, pour la plupart des civils non armés. Ils ont aussi pillé et incendié plusieurs villages706.

400. En avril 2002, Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba ont signé un accord de partage du pouvoir. Ce texte ayant cependant été rejeté par le RCD-Goma et par le principal parti d’opposition, l’UDPS, les négociations dans le cadre du Dialogue intercongolais se sont enlisées. Le 14 mai 2002 à Kisangani, un groupe de militaires et de policiers sans dirigeant identifié ont appelé les forces de sécurité du RCD -Goma à se mutiner. Ils ont également incité la population à tuer les Rwandais présents en ville. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 14 mai 2002, plusieurs civils non-identifiés, répondant à l’appel des mutins de l’ANC, ont tué au moins six personnes. Les victimes étaient des Rwandais, des personnes d’origine rwandaise et des personnes leur ressemblant707.

401. Au cours de la journée, les militaires de l’ANC/APR ont reçu des renforts en provenance de Goma et repris le contrôle de la ville. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Entre le 14 et le 22 mai 2002, des éléments de l’ANC/APR ont tué au moins 276 civils et en ont blessé des centaines d’autres à Kisangani, notamment dans les quartiers de la commune de Mangobo, au camp Ketele, à l’aéroport de Bangoka et au pont Tshopo. Au cours des opérations de ratissage, les militaires ont aussi commis un nombre indéterminé de viols et pillé des biens civils. De nombreux corps ont été jetés dans la rivière Tshopo, certains après avoir été mutilés et éventrés708.

402. Au cours de la période considérée, le district du Bas-Uélé est resté sous le contrôle des militaires de l’ALC/UPDF. Ces derniers ont commis de graves violations à l’encontre de tous ceux qui osaient contester leur autorité ou dénoncer leur implication dans le pillage des ressources naturelles de la région. Le cas allégué ci-dessous est mentionné à titre illustratif.

  • De 2001 à janvier 2003, des éléments de l’ALC/UPDF ont torturé et tué un nombre indéterminé de civils dans la ville de Buta. La plupart des victimes étaient détenues dans des trous boueux dans des conditions propres à entraîner la mort par maladie ou épuisement. Après qu’un activiste des droits de l’homme eut été torturé et détenu dans l’un de ces trous boueux par les militaires, la MONUC et les organismes des Nations Unies ont envoyé une mission d’enquête et obtenu la fermeture de ces cachots709.

403. Entre 2001 et 2003, les troupes de l’ALC, l’armée du MLC, et les quelques militaires du RCD-National de Roger Lumbala710 ont affronté à plusieurs reprises les éléments de l’APC, l’armée du RCD-ML, pour le contrôle du district du Haut-Uélé. Au cours de la période considérée, la ville d’Isiro est passée successivement aux mains de l’un et de l’autre camp. En octobre 2002, face à l’avancée de l’APC, l’ALC a envoyé à Isiro des renforts en provenance de l’Équateur dans le cadre de l’opération « Effacer le tableau ». Cette opération visait à détruire définitivement l’APC de façon à priver le Gouvernement de Kinshasa de son allié, le RCD-ML, à l’est du Congo et à mettre la main sur les ressources naturelles encore sous contrôle du RCD-ML avant que ne débute la période de transition. L’UPC, qui cherchait elle aussi à écraser l’APC, s’est jointe à l’opération. Les éléments de l’opération « Effacer le tableau » ont monté une embuscade contre l’APC au niveau du village de Madesi. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 30 ou le 31 juillet 2002, des éléments de l’APC ont violé collectivement six femmes dans les environs du village de Madesi711.
  • Pendant et après les combats, entre le 31 juillet et le 2 août 2002, les éléments de l’ALC participant à l’opération «Effacer le tableau» ont torturé, mutilé et tué au moins 16 combattants de l’APC mis hors de combat ainsi qu’un nombre indéterminé de civils, dont des femmes et des enfants. Les militaires de l’ALC ont utilisé les organes de certaines de leurs victimes (sexe et oreilles) comme trophées de guerre et les ont montrés à la population d’Isiro. L’Équipe Mapping n’a pas été en mesure de confirmer les allégations selon lesquelles les éléments de l’opération « Effacer le tableau se seraient livrés, après les combats, à des actes de cannibalisme712.
  • Début mars 2003, des militaires de l’ALC ont torturé à mort sept vendeurs d’huile de palme dans la localité de Ganga du district du Haut-Uélé. Au lendemain de cette tuerie, ils ont massacré une femme à coups de marteau au motif qu’elle portait un vêtement à l’effigie de l’APC713.
  • Fin 2002, début 2003, des éléments des Forces armées du peuple congolais (FAPC), groupe armé actif dans les territoires d’Aru et de Mahagi du district de l’Ituri, ont violé et tué un nombre indéterminé de civils aux alentours de la mine d’or de Kilomoto, dans le territoire de Watsa du district du Haut-Uélé714.

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703 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, janvier 2009; Rapport établi par le Groupe Lotus, 2009.
704 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, décembre 2008 et janvier 2009; Groupe Justice et Libération, « Massacres des populations civiles dans les villages de Masimango, Kababali et Abali », 2001; Mémorandum de la FOCDP [Fondation congolaise pour la promotion des droits humains et de la paix] au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, 2001.
705 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, décembre 2008 et janvier 2009; Groupe Justice et Libération, « Massacres des populations civiles dans les villages de Masimango, Kababali et Abali », 2001; Mémorandum de la FOCDP au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, 2001.
706 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, décembre 2008 et janvier 2009; Groupe Justice et Libération, « Massacres des populations civiles dans les villages de Masimango, Kababali et Abali », 2001; Mémorandum de la FOCDP au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, 2001.
707 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, décembre 2008; Onzième rapport du Secrétaire général sur la MONUC (S/2002/6); Rapport de la Rapporteuse spéciale (E/CN.4/2003/3/Add.3); Ministère des droits humains de la RDC, « Livre blanc spécial sur les récurrentes violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans la ville de Kisangani », juin 2002; Groupe Justice et Libération, « Vraie ou fausse mutinerie de Kisangani et le massacre des populations civiles », juin 2002; ANMDH, « Kisangani – Les événements du 14 mai 2002 – Rapport sur le massacre de la population et le pillage des biens des paisibles citoyens », 30 mai 2002, Groupe Lotus, « Comprendre les événements du 14 mai 2002 et agir pour le respect des droits humains et une paix juste », juillet 2002; Synergie pour la paix (SYPA), Rapport d’enquête sur le massacre de Kisangani du 14 au 16 mai 2002, juin 2002; AI, « RDC: Il faut que justice soit rendue maintenant aux victimes des massacres de Kisangani », communiqué de presse du 12 juin 2002; AI, « RDC, Nos frères qui les aident à nous tuer, exploitation économique et atteintes aux droits humains dans l’est du pays », 2003; HRW, « Crimes de guerre à Kisangani: Identification des officiers impliqués », 20 août 2002.
708 Ibid.
709 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, janvier 2009.
710 Le RCD-National est un petit mouvement politico-militaire apparu en 2001 et présent militairement dans les régions d’Isiro et de Watsa. Dirigé par Roger Lubumla, longtemps Président du parti d’opposition UDPS en France, ce mouvement s’était allié au MLC de Jean-Pierre Bemba et ne disposait sur le terrain que de peu de troupes en propre.
711 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, janvier et février 2009; Voix des opprimés, « Rapport sur les événements du Haut-Zaïre entre 1993 et 2003 », 2008.
712 Ibid.
713 Ibid.
714 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, janvier et février 2009.