Résumé Exécutif – Le Mapping

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4. Un mapping est basé sur un certain nombre de prémisses méthodologiques 7. En soi, un exercice de mapping doit s’intéresser non seulement aux violations mais aussi aux contextes dans lesquels celles-ci ont été commises, au niveau d’une région spécifique ou, comme dans le cas présent, sur toute l’étendue d’un pays. Pareil exercice a recours à différentes activités parmi lesquelles la collecte, l’analyse et l’évaluation d’informations contenues dans de multiples rapports et documents émanant de différentes sources, des rencontres et interviews de témoins ainsi que la consultation d’experts et de personnes ressources. Toutefois, un mapping n’est pas une fin en soi. Il demeure un exercice préliminaire qui s’inscrit en amont de plusieurs mécanismes de justice transitionnelle, judiciaires ou non. Il représente une démarche essentielle qui permet d’identifier les défis, d’évaluer les besoins et de mieux cibler les interventions.

5. Le mandat du Projet Mapping enjoignait à l’Équipe8 de « mener à bien son travail le plus rapidement possible, pour aider le nouveau Gouvernement en le dotant des outils nécessaires pour gérer les processus post-conflit »9. La durée du déploiement de six mois des équipes du Projet Mapping fixée par le Secrétaire général avec pour mandat de dresser un inventaire des violations les plus graves commises pendant dix ans sur l’ensemble du territoire de la RDC imposa certaines contraintes quant à la méthodologie à appliquer. Il ne s’agissait dès lors pas de se livrer à des enquêtes approfondies ou d’obtenir des preuves qui seraient admissibles comme telles devant un tribunal, mais plutôt de « fournir les éléments de base nécessaires pour formuler des hypothèses initiales d’enquête en donnant une idée de l’ampleur des violations, en établissant leurs caractéristiques et en identifiant les possibilités d’obtention de preuve »10. Ainsi, en matière de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, le Mapping présente une description des violations, de leur situation géographique et temporelle, en révèle la nature en les qualifiant en droit, dévoile qui en sont les victimes et leur nombre approximatif et à quel groupe – souvent armé – appartiennent les auteurs présumés. L’exercice s’est effectué « de façon chronologique et province par province »11.

6. Compte tenu de l’ampleur des violations commises au cours des dix années de conflit sur tout le territoire de la RDC, une sélection des incidents les plus graves s’imposait. Afin de sélectionner ces incidents, une échelle de gravité12 utilisant une série de critères permettant d’identifier les incidents suffisamment graves pour être inclus dans le rapport final a été appliquée. Les critères utilisés se divisent en quatre catégories: 1) la nature des crimes et violations liés à un l’incident, 2) l’étendue (le nombre) des crimes et violations révélés par l’incident, ainsi que le nombre de victimes, 3) la façon dont les crimes et violations ont été commis et 4) l’impact des crimes et violations qui ont été commis sur une communauté, une région ou le cours des événements.

7. L’objectif premier du Mapping étant de « rassembler les informations de base sur les incidents découverts », le niveau de preuve requis était de toute évidence inférieur à ce qui est exigé en matière criminelle devant une instance judiciaire. Il ne s’agissait donc pas d’être convaincu hors de tout doute raisonnable de l’existence d’une infraction mais plutôt d’avoir une suspicion raisonnable que l’incident s’était produit. On définit la suspicion raisonnable comme « nécessitant un ensemble d’indices fiables correspondant à d’autres circonstances confirmées, tendant à montrer que l’incident s’est produit » 13. L’évaluation de la fiabilité des informations obtenues s’est faite en deux temps, en considérant d’abord la fiabilité et la crédibilité de la source14 et par la suite la validité et la véracité des informations en tant que telles15.

8. L’objectif du Projet Mapping n’était pas d’établir ou de tenter d’établir la responsabilité pénale individuelle de certains acteurs, contrairement à certaines commissions d’enquête dont le mandat requiert spécifiquement d’identifier les auteurs de violations afin de s’assurer que les responsables aient à répondre de leurs actes, mais plutôt d’exposer clairement la gravité des violations commises dans le but d’inciter une démarche visant à mettre fin à l’impunité et d’y contribuer. Ce choix s’explique d’autant plus que, compte tenu de la méthodologie adoptée et du niveau de preuve utilisé dans cet exercice, il aurait été imprudent, voire inéquitable, de chercher à imputer à quiconque une responsabilité pénale individuelle, ce qui relève d’abord et avant tout d’une démarche judiciaire basée sur un niveau de preuve approprié. Par contre, le rapport identifie à quel groupe armé appartenait le ou les auteurs présumés, l’identification des groupes prétendument impliqués étant en effet indispensable pour pouvoir proposer la qualification juridique appropriée des actes en question. En conséquence, toute information obtenue sur l’identité des auteurs présumés de certains des crimes répertoriés n’apparaît pas dans le présent rapport mais est consignée dans la base de données confidentielle du Projet remise à la Haut- Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme16. Toutefois, lorsque les auteurs présumés sont actuellement sous le coup d’un mandat d’arrêt ou ont déjà été condamnés par la justice pour des faits répertoriés dans le rapport, leur identité a été révélée. Il est à noter également que lorsque des responsables politiques ont pris, de manière publique, des positions encourageant ou suscitant les violations répertoriées, leur nom a été cité dans les paragraphes relatifs au contexte politique.

9. Faire un mapping des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises en RDC durant la période à l’examen a posé plusieurs défis. Malgré l’ampleur de la violence extrême qui caractérise les violations dans certaines provinces du pays, il a également été nécessaire de prendre en compte les violations de moindre intensité dans des régions apparemment moins affectées afin de poser un regard sur l’ensemble du territoire. Pour cela l’échelle de gravité a été adaptée à chaque province. Enquêter sur des violations survenues plus de dix ans auparavant a parfois été difficile du fait du déplacement des témoins ou des victimes et du temps écoulé. Dans certains cas, les violations qui apparaissaient de prime abord comme des crimes isolés se sont avérées parties intégrantes de vagues de violence survenues dans un espace géographique donné ou au cours d’une période déterminée. Force est de constater que devant le nombre effrayant de violations commises de 1993 à 2003, l’immensité du pays et les difficultés d’accès à de nombreux sites, pareil mapping demeure nécessairement incomplet et ne peut en aucun cas restituer la complexité de chaque situation ni rendre pleinement justice à l’ensemble des victimes. Nous le regrettons.

10. Le rapport du Projet Mapping comprend une description de plus de 600 incidents violents survenus sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003. Chacun de ces incidents suggère la possibilité que de graves violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire aient été commises. Chacun des incidents répertoriés s’appuie sur au moins deux sources indépendantes identifiées dans le rapport. Un incident non corroboré – s’appuyant sur une seule source – aussi grave soit-il, ne fait pas partie du présent rapport. Plus de 1 500 documents relatifs aux violations des droits de l’homme commises durant cette période ont été rassemblés et analysés en vue d’établir une première chronologie par province des principaux incidents violents rapportés. Seuls les incidents dont le niveau de gravité était suffisamment élevé selon l’échelle de gravité développée dans la méthodologie ont été retenus. Par la suite, les Équipes Mapping sur le terrain ont rencontré plus de 1 280 témoins en vue de corroborer ou d’infirmer les violations répertoriées dans la chronologie. Au cours de ces entretiens, des informations ont également été recueillies sur des crimes jamais documentés auparavant.

7 Les traductions françaises du terme « Mapping », étant soit « cartographie », « inventaire » ou « état des lieux » et ne reflétant pas exactement l’étendu du mandat du Projet Mapping, l’Équipe a décidé de garder le terme générique anglais pour désigner le présent projet.
8 Le terme « Équipe » désigne l’ensemble des spécialistes des droits de l’homme qui ont mené les enquêtes du Projet Mapping sur l’ensemble de la RDC. Ces spécialistes peuvent aussi être désignés par les expressions « les équipes du Projet Mapping » ou « les Équipes Mapping »
9 Article 2.3 du mandat.
10 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit: Les poursuites du Parquet », Nations Unies, New York et Genève, 2008, p. 6.
11 Article 4.2 du mandat: « Il devrait être effectué province par province et en suivant la chronologie des événements. Il devrait viser à rassembler les informations de base et non se substituer aux enquêtes approfondies sur les incidents découverts ».
12 Connu également sous le terme anglais de « gravity threshold », l’échelle de gravité a été développée par les tribunaux internationaux afin d’identifier les « crimes les plus graves » qui feront l’objet de poursuites ». Voir par exemple, al. d, par. 1 de l’article 17 : Questions relatives à la recevabilité du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
13 La définition de « reasonable suspicion » en anglais est: « necessitate a reliable body of material consistent with other verified circumstances tending to show that an incident or event did happen ». Une autre formulation serait qu’il « existe des indices fiables et concordants tendant à montrer que l’incident s’est produit ».
14 La fiabilité de la source est déterminée par plusieurs facteurs dont la nature de la source d’où provient l’information, son objectivité et professionnalisme, la méthodologie employée et la qualité des informations précédentes obtenues de cette même source.
15 La validité et la véracité des informations sont évaluées par comparaison avec d’autres informations disponibles relatives aux mêmes incidents pour ainsi s’assurer de sa concordance avec d’autres éléments et circonstances vérifiés.
16 Article 4.3 du mandat: « Les informations sensibles recueillies au cours de l’exécution du Projet Mapping doivent être conservées et utilisées selon les règles les plus strictes de confidentialité. L’Équipe devra élaborer une base de données aux fins du Projet Mapping, dont l’accès devrait être déterminé par la Haut-Commissaire aux droits de l’homme ».